Exposition I NEVER LOOK AT PICTURES

Du 04 au 20 octobre 2019

▶︎ Vernissage vendredi 04 octobre de 18h à 22h

Estèla Alliaud / Avraham Benarroch / John Cornu / Muriel Leray

D ‘un versant A. Warhol : « i never read, i just look at pictures ». D’un autre G. Debord : « le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images ». Appelons image une vallée de traverse, forme sensible orientée par l’Idée, qui est une part d’ombre, d’une densité signifiante excessive et incalculable, qui fait pourtant l’évidence du vrai. De sorte que le discours (pas l’Idée) ornemental de la justification protocolaire critique, si familière du marché et de l’Etat, se trahit comme vacuité et indigence bourgeoise.  Affirmation donc d’une image, par où l’obscurité, l’inconnu, le poème, l’infime, ouvre au monde sensible.

Estèla Alliaud

https://www.estela-alliaud.com/

L’écho

2016, 160x80 cm verre sablé production La Tôlerie, Clermont-Ferrand vue de l'exposition Une réserve de nuit, Estèla Alliaud et Claire Chesnier, Espace Art et essai, Rennes, photo Benjamin Mouly

Raphaël Brunel, Surfaces d’impression (extraits), 2015

Le travail d’Estèla Alliaud s’attache en premier lieu à la fréquentation patiente et assidue des espaces dans lesquels elle est invitée à exposer, dans la perspective d’habiter le plus justement un lieu, de percevoir et décrypter les possibilités offertes par ses caractéristiques propres, que ce soit en termes d’architecture, de volume, de panorama ou de luminosité.

Ce temps d’immersion coïncide également avec l’observation minutieuse d’un ensemble de phénomènes qu’elle cherche à exploiter, dans une logique souvent expérimentale, à travers des situations en partie déterminées par un geste simple, dépourvu de tout effet d’annonce et de parti pris spectaculaire.

Ainsi (…) reproduit-elle sur des plaques de verre découpées, superposées et simplement posées au sol, les fragments du ciel aperçus depuis la vitrine d’une galerie (Le Ciel, même, 2014). Ce jeu sur la transparence et le regard porté vers l’extérieur s’exprime également à travers une œuvre logiquement intitulée Fenêtres, dans laquelle l’artiste dépose le carreau d’une fenêtre contre celle, plus grande, d’un autre espace, imposant ainsi un cadre dans le cadre tout en suggérant un déplacement métaphorique de point de vue et de paysage.

Infimes, presque imperceptibles, de l’ordre de l’inframince chère à Duchamp, ces œuvres réalisées avec une grande économie de moyen et à l’échelle du corps de l’artiste délaissent les bavardages pour mieux se concentrer sur le transitoire, les passages d’un état à un autre, sur ces moments de basculement qui relèvent autant de la disparition que de la trace. (…)

On comprend alors à quel point l’approche sculpturale de l’artiste peut être envisagée en termes photographiques, qu’ils impliquent la lumière, le cadrage, le fragment ou le négatif. Minutieux et précis, parfois de l’ordre du relevé, les procédés de l’artiste traduisent également un goût prononcé pour le processus, laissant volontiers les formes advenir (ou non) par elles-mêmes.

Estèla Alliaud convoque par ailleurs la photographie dans sa pratique de la sculpture, s’inscrivant à sa manière dans la longue histoire qui, de Constantin Brancusi à Gabriel Orozco, lie ces deux médiums. Souvent à la limite du noir et blanc, déployant tout un nuancier de gris, les clichés réalisés par l’artiste fonctionnent comme des outils spéculatifs² venant figer un mouvement, un équilibre précaire et instable nés de manipulations diverses au sein de l’atelier ou produits, dans les cas de Lac et de Façade, par un phénomène naturel.

À la vidéo, trop narrative et à même de capter l’intégrité d’un processus, l’artiste préfère l’image fixe qui vient saisir l’instant, conserver l’état éphémère d’une forme. Chez elle, le fragment revêt une vertu esthétique qui tour à tour se fait indice et embrayeur de situations qu’il revient à chacun de décrypter et de s’approprier.


  1. Georges Didi-Huberman, La Ressemblance par contact. Archéologie, anachronisme et modernité de l’empreinte, Paris, Les Éditions de Minuit, 2008.
  2. Voir le texte de Marguerite Pilven sur le travail d’Estèla Alliaud dans le catalogue The Solo Project, Bâle, mars 2013.
L’écho

2016, 160x80 cm verre sablé production La Tôlerie, Clermont-Ferrand vue de l'exposition Une réserve de nuit, Estèla Alliaud et Claire Chesnier, Espace Art et essai, Rennes, photo Benjamin Mouly

Avraham Benarroch

https://www.facebook.com/JeromeAvrahamBenarroch

Sans titre

2019, tirage pigmentaire sur papier baryté Hahnemühle

Irrfahrt

Muette, de la mémoire, mais tue. Ou bien n’a pas besoin, ou bien ne le peut pas, ou ne le doit pas, être prise. Par exemple, la solitude d’un amour, clandestinité de politique. Parfois un peu. Parfois brandirait son épée.

Jérôme Avraham Benarroch est philosophe, poète et photographe. En 2018, il publie Deux, un, l’amour aux éditions Nous, un livre de philosophie contemporaine. Depuis 2014, ses travaux de photographie, de vidéo et de poésie sont présentés dans différents lieux : Ciné 104 à Pantin pour « Côté court », galerie de la Voûte (Paris), galerie Maître Albert (Paris), Palais de l’archevêché (Arles) 2017.

Dans sa pratique, il s’intéresse à une théorie de l’image photographique, et en particulier aux rapports mouvants et variables entre intellectualité et affect, texte et image, forme et sens.

Sans titre

2019, tirage pigmentaire sur papier baryté Hahnemühle

John Cornu

http://www.johncornu.com/

La Part maudite (Richard Kern)

John Cornu, 2012 Affiches noir et blanc 50 x 70 cm © John Cornu Courtesy the artist

Mais nos îles lointaines
Sont des pays perdus.¹

Un individu observe un sujet. L’auteur dévoile une part manquante. Le regardeur se mêle au désir qui se joue dans cette scène. Le fantasme est exacerbé dans la dissolution du réel. Une histoire de femme mariée ? Une sorcière prenant une arme ? Que me veut l’Autre ? Mais de qui parle-t-on ? De l’observateur, de l’exécutant, du révélateur ? D’intime, de désir, de passion, il est assurément question.

Bras et jambes écartés, une femme est offerte. Elle est installée là, assise sur un canapé posé devant une fenêtre, qui laisse un souffle léger et lumineux s’immiscer dans cette photographie, atemporelle, en noir et blanc. Le visage et le sexe du sujet sont recouverts d’une large bande noire, formant un axe symétrique et une force dynamique étrange, engloutissant les parties intimes de ce personnage devenu énigmatique, support du fantasme.

Un catalogue de Richard Kern, photographe de nus, de nymphettes ou de dominatrices, traîne sur une bibliothèque et resurgit à l’occasion d’une invitation de Christian Alandete et d’Agnès Violeau faite à John Cornu de participer à un numéro de J’aime beaucoup ce que vous faites….² La revue littéraire et artistique reçoit alors le scan de cette double page dont la pliure originelle masque, ou plutôt absorbe, déjà l’intimité de ce corps. Par un simple geste de reproduction de l’image, John Cornu déplace et donne à voir cette disparition ici augmentée. Ce gouffre central, qui aspire tout autant qu’il révèle, est à son tour placé sur la pliure du dernier ouvrage. Une économie de moyens pour un déploiement de sens, de références, d’énergies.

Georges Bataille écrivait en 1949 un essai : La Part maudite,³ dans lequel il effectue une étude faisant appel à des sciences aussi diverses que l’économie, la sociologie ou encore la physique. L’humanité bénéficie, selon lui, d’une énergie excédentaire qui va se dissiper dans une « part maudite ». Elle peut alors devenir lucrative ou non, mais elle sera affectée à la consumation et tiendra du luxe.

« Le réel du fait de sa position par rapport au symbolique est ce qui est innommable. Le réel, c’est l’impossible » dira Jacques Lacan.⁴ Ce dernier acquit en 1955 L’Origine du monde (1866) de Gustave Courbet, en compagnie de sa femme Sylvia Bataille, elle-même ex-femme de Georges. Le célèbre tableau, présentant avec réalisme un sexe féminin, est volontairement dissimulé par son collectionneur derrière un paysage symbolique intitulé Terre érotique, commande faite au peintre et ami André Masson. L’ambivalence entre l’exhibition crue du sexe et la tentative de préserver la part fantasmatique en dissimulant l’organe serait une volonté de se protéger du meurtre du désir.

En négatif, Valie Export marque en 1969, par sa performance Genital Panic, ce contre-pied entre angoisse et fantasme. Alors qu’elle fait effraction dans une salle de cinéma d’art à Munich, s’offrant au public en portant un pantalon découpé à l’entrejambe, elle fait circuler plus tard une photographie qui rejoue l’action. Elle se met en scène, affublée de cette même tenue ostentatoire, jambes écartées, cette fois-ci tenant un fusil. L’objet phallique et de pulsion de mort reste, en somme. Part manquante ou part maudite, de cette part manquante, nous sommes tous maudits à désirer.

Pornographie ou érotisme ? Le philosophe Paul B. Preciado nous éclaire dernièrement à ce sujet en constatant qu’« il n’y a pas d’images pornographiques en elles-mêmes, mais des limites à la circulation publique de l’image qui cherche à restreindre sa capacité à mobiliser le corps et le désir ».⁵

L’œuvre de John Cornu est ensuite exposée au CNEAI en septembre 2011. Une série de 78 posters en sérigraphie industrielle est alors mise à disposition du regardeur, telle la part maudite de chacun laissée là en libre-service.


  1. Charles Dumont, Toi, la femme mariée, Pathé, paroles (extrait), 1975.
  2. John Cornu, « La Part maudite », in J’aime beaucoup ce que vous faites, n°5, septembre 2011.
  3. Georges Bataille, La Part maudite, précédé de La notion de dépense (1933), avec une introduction de Jean Piel, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1967.
  4. Alain Vanier, Lacan, éditions Les Belles Lettres, 2015, p. 131.
  5. Paul B. Preciado, « Art et pornographie censurés », in Libération, 15 juin 2018.
La Part maudite (Richard Kern)

John Cornu, 2012 Affiches noir et blanc 50 x 70 cm © John Cornu Courtesy the artist

Muriel Leray

http://www.muriel-leray.info

Pattern ; meanwhile

2012, cadre bois, carton noir, verre, lettrages vinyle (wood frame, black cardboard, glass, vinyl lettering), 100 x 60 cm

Muriel Leray est née en 1987, elle vit et travaille à Paris. Depuis 2007 son travail réunit et compose formes minimales et textes courts ; le noir domine, avec une fonction soustractive. Il est question de faire exister ce qui existe peu, un détail de l’architecture, un trait de crayon, des silences dans le bruit du monde.

Diplômée de la Sorbonne (avec Michel Verjux) et de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris (ateliers de Giuseppe Penone, Guillaume Paris et Claude Closky), elle a participé à plusieurs expositions collectives en France et à l’étranger. En 2014 elle a présenté son travail dans le cadre des expositions “Plus Une Pièce” (Une Pièce en Plus, Paris) et “Toujours +” (Galerie Florence Loewy, Paris), dont elle a également assuré le commissariat avec Elsa Werth. Parmi ses expositions en duo, “d’intérieur le lit” avec John Cornu à Le 3 (Paris) en 2010 et “Reflets, coïncidence.” avec Anna Tomaszewski à la Galerie Escougnou-Cetraro (Paris) en 2015. En 2016 elle présente “OBSCENE”, son exposition personnelle à la galerie Escougnou-Cetraro, expose à La Vitrine, Le Plateau, FRAC Ile-de-France et au Pavillon Vendôme Centre d’art Contemporain de Clichy. En 2018 elle participe à “100% Beaux-Arts” dans le Grand Hall de la Villette et en 2019 conçoit l’exposition personnelle “rest, reset,” dans le Virtual Dream Center.

Pattern ; meanwhile

2012, cadre bois, carton noir, verre, lettrages vinyle (wood frame, black cardboard, glass, vinyl lettering), 100 x 60 cm