73 rue des Haies
75020 Paris France

Du mercredi au dimanche
De 15h00 à 19h00

plateforme
Exposition DÉJÀ VU //
Commissariat Jean-Baptiste Perrot & Luz Blanco //

Du 1er au 17 octobre 2021 //
Vernissage vendredi 1er octobre de 18h à 22h //

Luz Blanco, Pauline Dufour, Jean-Baptiste Perrot,
Samuel Yal, Brankica Žilović
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exposition Epidermotopia

 

 

 

Progressivement, le souvenir s'estompe… Plus je cherche à m'en rapprocher, plus il me fuit… Une dernière
lueur encore… Puis plus rien. Cela n'aura été qu'une brève illusion. Je connais bien d'ailleurs ces
impressions vives et fugitives, qui sont assez fréquentes chez moi comme chez beaucoup de gens, auxquelles
on donne quelquefois ce nom : mémoire du futur. Il s'agirait plutôt, en fait, d'une mémoire instantanée ; on
croit que ce qui nous arrive nous est déjà arrivé antérieurement, comme si le présent se dédoublait, se
fendait par le milieu en deux parties jumelles : une réalité immédiate, plus un fantôme de réalité.

Alain Robbe-Grillet, Djinn, Minuit, 1985.


Le titre de l’exposition, « Déjà vu », indique un phénomène factuel connu, relié à ce sentiment d’avoir déjà vécu une scène qui est pourtant totalement ancrée dans l’expérience d’un présent immanent. Ce sentiment bizarre, ce « fantôme de réalité » selon Alain Robbe-Grillet, a la particularité de créer un trouble dans la perception du réel : il questionne la fragilité intrinsèque de notre mémoire explicite, de nos perceptions, et évidemment de notre conscience. C’est dans cette brèche que les artistes nous emmènent, en l’élargissant à des questions de dysfonctionnement et de perturbations visuelles.
Au cœur de l’exposition, les artistes s’accaparent une matière : rappelons que pour Bergson la mémoire est mouvement, matière mobile des mécanismes psychiques ; selon le philosophe le mouvement est dans la mémoire. Il parle d’une dimension dynamique enfouie qui travaille et agit à l’insu de la conscience. Nous dirons, pour adapter cette vision à notre sujet, que cette dynamique a la capacité à parasiter le présent. C’est en matière transitive qu’elle se déploie, difficile à capturer, représenter ou bien formuler. En cela, les artistes sont certainement les plus enclins à questionner ce terrain en abordant un champ éminemment hybride basé sur le pliage et dépliage du visible.
C’est donc à l’aune de la perturbation, de la fragmentation, de l’érosion, de l’erreur, ou du parasitage, que les œuvres présentées ici mettent en actes formes et processus. Il y a une sorte de virus qui agit, qui se meut, un virus connecté aux matières et aux technologies qu’elles soient numériques ou bien analogiques, visuelles ou spatiales, manuelles ou électroniques, passées ou présentes. L’art n’a de cesse de travailler avec des formes érodées, fuyantes, instables, agissant dans des modalités d’apparition et de disparition, de manifestation et de perte. Une circulation incessante entre le défaire et le refaire est à l’œuvre. Et cela peut nous rapprocher de la définition de Deleuze sur la mémoire qu’il considère comme étant « elle-même et sans cesse oubliée pour être refaite ». Ici, l’oubli se confond avec la mémoire et forment ensemble une dynamique perturbatrice en rupture.
Ainsi, l’exposition « Déjà vu » tente de poser quelques pistes à travers une diversité de perspectives et de médiums, en assumant une dimension disruptive : les retours mémoriels, interférences et perturbations visuelles des œuvres numériques de Jean-Baptiste Perrot ; les éprouvés du corps et émergences parasitaires de Samuel Yal ; les territoires érodés par leurs cicatrices paysagères de Brankica Zilovic ; les explorations corporelles de paysages recomposés en VR et leurs mises en mouvements infinis de Pauline Dufour ; enfin, les fragmentations mnésiques et les Soft errors cryptées des dessins de Luz Blanco. « Déjà vu » est donc cette faille qui ouvre l’artiste à un inconnu fragmentaire, un parasitage large et fructueux.


Ludovic Bernhardt.

 

 


 

Luz Blanco

 

La maison brûle, 2020-21
Triptyque - 3 dessins sur papier - 70 x 100 cm chaque dessin.

 

À travers sa série de dessins intitulée La maison brûle, Luz Blanco décompose des morceaux de vie psychiques comme autant d’irruptions du passé, entre dissolution et tentatives de re-figuration. Les photos de magazines et d’archives sont les matières anonymes de ses dessins qui lui permettant de faire émerger des bribes de subjectivité de manières accidentelles : des hasards qui sont reliés à des éléments de biographie de l’artistes. Procédés de découpe, de cut-up collagiste, et son esthétique du fragment. Le virus est ici mnésique. Il existe à l’ombre de toute rationalité. Ses dessins explorent le potentiel de dialogue entre effacement, mémoire et oubli, et invitent à une approche métaphorique de la notion de « soft error » : un type d'erreur qui ne menace pas le système qui l'a produite, mais qui le refigure en le défigurant, le reprogramme en le déprogrammant.

 
 

 

Pauline Dufour

 

Junglefever, 2017.
Dessin en réalité virtuelle et oeuvre immersive

 

Les dispositifs en réalité virtuelles (VR Tilt Brush) de Pauline Dufour, recomposent des paysages ; le corps de l’artiste adhère à des mises en mouvements d’un tableau virtuel. Le jeu chorégraphique conjugue une recomposition d’un territoire à imaginer et la perte d’une figurabilité connue de ce territoire. Par le processus de repeinte d’un paysage oublié, une mémoire semble pouvoir se redessiner. L’artiste en recherche les ondes, les racines, les énergies. Est-ce une redécouverte remémorée d’une histoire du paysage ou bien le traçage réinventé d’un territoire oublié ? Chez Pauline Dufour, le simulacre et la simulation façonnent un « supra-environnement » émergeant dans la faille d’une conjonction étrange entre mémoire et oubli. Le dédoublement digital du monde, comme l’expression d’un nouveau rapport à l’environnement immédiat, a lieu comme fragmentation du temps, parasitage du présent, en ré-interrogeant la notion historique de paysage.

 
 

 

Jean-Baptiste Perrot

 

Déjà Vécu, 2021
2 Impressions sur dibond / miroir

 

Avec Déjà vécu 001 et Déjà vécu 002 Jean-Baptiste Perrot s’accapare les dysfonctionnements de l'imagerie numérique : il les intègre en inventant ses propres erreurs informatiques, ses bugs ou autres glitches qui énoncent des perturbations technologiques, mais aussi plus subjectives ou psychiques. L’expérience du déjà vu et du déjà vécu, pour Jean-Baptiste Perrot, agit comme une réactivation de la mémoire visuelle dans ses basculements permanents avec le parasite temporel. L’image spéculaire n’en devient que plus troublante, fantomatique, posée en retournement permanent entre sa manifestation et sa disparition, comme révélatrice d'espaces de liberté inattendus. Pour l’artiste, le numérique et le psychique interfèrent par des processus d’analogie et de mises en image. Ils constituent une unité indivisible par une mise en greffe de la technologie comme extension du système nerveux, ainsi que l’a défini le théoricien des médias Marshall McLuhan.

 
 

 

Samuel Yal

 

Impression/Homme debout, 2015
Sculpture, porcelaine 45 x 20 x15 cm
crédit Galerie Ariane Cy

 

La sculpture en porcelaine Impression/Homme debout de Samuel Yal, de par sa finesse si particulière et son étrangeté, semble exprimer une mémoire involontaire, éruptive, et affective, fondée sur les éprouvés du corps en résonance avec les affects. Corps et émergence de parasites, situés entre un intérieur et un extérieur, ensevelis et irradiants, d’une élégante fragilité. Un « enfouissement qui révèle un espace qu'occuperait le corps » et qui se poursuit au-delà des simples oppositions dualistes : un flou qui agit, une sorte de virus inconscient, incertain, qui remet en question les oppositions entre vide et plein, extérieur et intérieur. Oxymore : irradiation lumineuse par la profondeur de son intériorité.

 
 

 

Brankica Žilović

 

APU 01_02_03, 2021
Installation murale 130 x 300 cm, (130 x 100 chaque drapeau )
Impression textile sur le sergé de coton et couture.

 

L’œuvre APU de Brankica Zilovic s’oriente autour d’explorations de territoires montagneux mythiques : Apu est le terme utilisé pour décrire l’esprit de la montagne et des roches solitaires dans l'ancienne religion et mythologie du Pérou. Pour l’artiste, des zones labiles qui se cousent et se fracturent comme les frontières peuvent parfois se confondre avec les blessures du paysage. Son œuvre renverse les codes de la représentation de la nature : un drapeau tombe, comme oriflamme érodé par le temps - un anti-drapeau - l’usure jouant le rôle d’une trace mnésique. L’acte de broder accentue la fêlure en triturant la photographie imprimée sur tissu, un réseau filaire qui perfore et abime la surface du paysage et de sa prétendue grandeur. Déchirures des « territoires s'esquissant comme des méditations sur les temps passés et présents dans le dessein d'un avenir. » (Marie Deparis-Yafil, 2019, à propos du travail de l’artiste)